Comprendre ses caractéristiques, ses effets et les voies de recours possibles
Il arrive que l'agent public se voit notifier une décision de suspension à titre conservatoire alors qu'il n'avait même pas connaissance d'un grief de son administration à son égard. Mesure de "protection" infligée en amont de toute actions d'enquête, le plus souvent, la suspension à titre conservatoire est suivie d'une procédure disciplinaire mais pas nécessairement.
Cet article a pour objet de faire le point la mesure de suspension à titre conservatoire, ses caractéristiques, son régime, et les possibilités de recours.
1. Définition et fondement juridique
La suspension à titre conservatoire est une mesure provisoire prévue par l’article L531-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) :
« Le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. »
Elle peut être prononcée avant toute sanction, dès lors que des faits sont susceptibles de justifier une procédure disciplinaire. Cette mesure vise à écarter temporairement l’agent du service, notamment en cas de faute grave présumée, afin de garantir, dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire :
- la protection du service ;
- la sérénité de l’enquête ou de l’instruction disciplinaire ;
- la préservation des usagers ou des collègues.
La suspension intervient donc toujours avant une éventuelle réunion du conseil de discipline. Elle ne préjuge pas de la culpabilité de l’agent et ne constitue pas une sanction disciplinaire (CE, juge des référés, 5 mars 2008, n° 312719).
2. Durée maximale et prolongation
La suspension conservatoire peut être prononcée pour une durée maximale de quatre mois, conformément à l’article L531-1 du CGFP.
À l’issue de ce délai, l’agent doit être réintégré, sauf si :
- l’agent fait l’objet de poursuites pénales ;
- et que des mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service s’y opposent.
L’article L531-2 du CGFP prévoit expressément que :
« Si, à l'expiration du délai mentionné à l'article L. 531-1, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai sauf si les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service y font obstacle.»
Ainsi, en cas de procédure pénale en cours, l’administration peut prolonger la suspension au-delà du délai de quatre mois, jusqu’à la décision définitive du juge pénal, mais cela n’est pas automatique.
3. Position administrative et rémunération
Pendant la suspension, l’agent reste en position d’activité.
Le traitement indiciaire, l’indemnité de résidence et le supplément familial de traitement sont maintenus durant les quatre premiers mois.
En cas de prolongation liée à des poursuites pénales, une retenue sur traitement, dans la limite de 50 %, peut être décidée. Le supplément familial est alors maintenu, conformément à l’article L531-4 du CGFP.
4. Effet du congé maladie sur la suspension
La suspension conservatoire n’est pas rendue caduque par un arrêt maladie de l’agent.
Le Conseil d’État a jugé que :
- lorsqu’une mesure de suspension intervient alors que l’agent est déjà en congé de maladie, la suspension prend effet à la fin du congé, pour une durée décomptée à partir de la date de signature de la décision (CE, juge des référés, 6 février 2023, n° 470618) ;
- lorsqu’un agent suspendu est ensuite placé en congé de maladie, la suspension prend fin automatiquement, sans empêcher l’administration de reprendre une mesure de suspension à l’issue du congé (CE, 26 juillet 2011, n° 343837).
5. Recours contre la suspension : juridiction et procédure
La décision de suspension peut être contestée devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois suivant sa notification. La procédure est écrite.
Le juge peut :
- annuler la décision ;
- enjoindre à l’administration de réintégrer l’agent ;
- éventuellement accorder une indemnisation si un préjudice est établi.
⚠️ La durée moyenne pour obtenir un jugement au fond est comprise entre 12 et 24 mois.
L’agent peut également envisager une action en référé suspension (article L521-1 du Code de justice administrative) en cas d’urgence et de doute sérieux sur la légalité de la décision. Toutefois, il est souvent difficile de démontrer l’urgence, l’agent étant rémunéré et conservant sa position d’activité. Si l’objectif de l’agent est de faire reconnaître l’illégalité de la mesure (par exemple, absence de faute grave) et d’obtenir la réparation d’un préjudice (moral, financier, atteinte à la réputation…), une action au fond seule peut suffire.

