La suspension à titre conservatoire dans la fonction publique

Perrine Athon-Perez • 17 juin 2025

Comprendre ses caractéristiques, ses effets et les voies de recours possibles

Il arrive que l'agent public se voit notifier une décision de suspension à titre conservatoire alors qu'il n'avait même pas connaissance d'un grief de son administration à son égard. Mesure de "protection" infligée en amont de toute actions d'enquête, le plus souvent, la suspension à titre conservatoire est suivie d'une procédure disciplinaire mais pas nécessairement.


Cet article a pour objet de faire le point la mesure de suspension à titre conservatoire, ses caractéristiques, son régime, et les possibilités de recours.




1. Définition et fondement juridique


La suspension à titre conservatoire est une mesure provisoire prévue par l’article L531-1 du Code général de la fonction publique (CGFP) :

« Le fonctionnaire, auteur d'une faute grave, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. »


Elle peut être prononcée avant toute sanction, dès lors que des faits sont susceptibles de justifier une procédure disciplinaire. Cette mesure vise à écarter temporairement l’agent du service, notamment en cas de faute grave présumée, afin de garantir, dans l’attente d’une éventuelle procédure disciplinaire :


  • la protection du service ;
  • la sérénité de l’enquête ou de l’instruction disciplinaire ;
  • la préservation des usagers ou des collègues.


La suspension intervient donc toujours avant une éventuelle réunion du conseil de discipline. Elle ne préjuge pas de la culpabilité de l’agent et ne constitue pas une sanction disciplinaire (CE, juge des référés, 5 mars 2008, n° 312719).

 


2. Durée maximale et prolongation


La suspension conservatoire peut être prononcée pour une durée maximale de quatre mois, conformément à l’article L531-1 du CGFP.

À l’issue de ce délai, l’agent doit être réintégré, sauf si :


  • l’agent fait l’objet de poursuites pénales ;
  • et que des mesures décidées par l’autorité judiciaire ou l’intérêt du service s’y opposent.


L’article L531-2 du CGFP prévoit expressément que :

« Si, à l'expiration du délai mentionné à l'article L. 531-1, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. Le fonctionnaire qui fait l'objet de poursuites pénales est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai sauf si les mesures décidées par l'autorité judiciaire ou l'intérêt du service y font obstacle.»


Ainsi, en cas de procédure pénale en cours, l’administration peut prolonger la suspension au-delà du délai de quatre mois, jusqu’à la décision définitive du juge pénal, mais cela n’est pas automatique.

 


3. Position administrative et rémunération


Pendant la suspension, l’agent reste en position d’activité.


Le traitement indiciaire, l’indemnité de résidence et le supplément familial de traitement sont maintenus durant les quatre premiers mois.


En cas de prolongation liée à des poursuites pénales, une retenue sur traitement, dans la limite de 50 %, peut être décidée. Le supplément familial est alors maintenu, conformément à l’article L531-4 du CGFP.

 


4. Effet du congé maladie sur la suspension


La suspension conservatoire n’est pas rendue caduque par un arrêt maladie de l’agent.


Le Conseil d’État a jugé que :

  • lorsqu’une mesure de suspension intervient alors que l’agent est déjà en congé de maladie, la suspension prend effet à la fin du congé, pour une durée décomptée à partir de la date de signature de la décision (CE, juge des référés, 6 février 2023, n° 470618) ;
  • lorsqu’un agent suspendu est ensuite placé en congé de maladie, la suspension prend fin automatiquement, sans empêcher l’administration de reprendre une mesure de suspension à l’issue du congé (CE, 26 juillet 2011, n° 343837).

 


5. Recours contre la suspension : juridiction et procédure


La décision de suspension peut être contestée devant le tribunal administratif dans un délai de deux mois suivant sa notification. La procédure est écrite.


Le juge peut :

  • annuler la décision ;
  • enjoindre à l’administration de réintégrer l’agent ;
  • éventuellement accorder une indemnisation si un préjudice est établi.


⚠️ La durée moyenne pour obtenir un jugement au fond est comprise entre 12 et 24 mois.


L’agent peut également envisager une action en référé suspension (article L521-1 du Code de justice administrative) en cas d’urgence et de doute sérieux sur la légalité de la décision. Toutefois, il est souvent difficile de démontrer l’urgence, l’agent étant rémunéré et conservant sa position d’activité. Si l’objectif de l’agent est de faire reconnaître l’illégalité de la mesure (par exemple, absence de faute grave) et d’obtenir la réparation d’un préjudice (moral, financier, atteinte à la réputation…), une action au fond seule peut suffire.

 

par Perrine Athon-Perez 5 juin 2025
La réparation des préjudices nés d'une maladie ou d'un accident imputable au service
par Perrine Athon-Perez 16 mai 2025
La réparation des préjudices nés d'une maladie ou d'un accident imputable au service
par Perrine Athon-Perez 22 mars 2024
Dans la vie de l’entreprise ou du travailleur indépendant, il est fréquent de devoir fournir à ses clients une attestation de vigilance. En principe, celui-ci est obligé de la demander à son prestataire lors de la conclusion du contrat puis tous les 6 mois jusqu’à la fin de son exécution. On rappellera, à toutes fins utiles que cette obligation s’impose pour tout contrat d’un montant minimum de 5 000 €HT qui porte sur l’exécution d’un travail, la fourniture d’une prestation de services ou l’accomplissement d’un acte de commerce (contrats de production, de fabrication, de transformation, de réparation, de construction, de fourniture, de vente, de travaux agricoles, de prestations de services, matérielles, intellectuelles ou artistiques, de transport, de sous-traitance industrielle ou de travaux). On le sait, lorsque l’entreprise (ou le travailleur indépendant) est en litige avec l’URSSAF, il est fréquent qu’elle (il) se voit opposer par la Caisse un refus de délivrer une attestation de vigilance . Or cette situation n’est pas toujours normale . Trop d’entrepreneur l’ignorent mais le code de la sécurité sociale prévoit que l’URSSAF est tenue de délivrer l’attestation, même lorsqu’il y a un arriéré de cotisations non payées, dès lors que l’entreprise (ou le travailleur indépendant) en conteste le montant par recours contentieux. En somme, lorsque l’intéressé a porté son litige devant une juridiction, l’URSSAF n’a pas le droit de lui refuser la délivrance de l’attestation. Attention , il faut quand même prendre en compte deux points : Pour que l’attestation puisse être délivrée en cas d’impayé de cotisations, il faut que l’ensemble des cotisations impayées fasse l’objet d’un recours, et pas seulement une partie. Par ailleurs, lorsque l’entreprise (ou le travailleur indépendant) a fait l’objet d’une verbalisation pour travail dissimulé transmise au procureur de la République, l’attestation ne peut être délivrée tant qu’elle (il) n’a pas payé les cotisations et contributions dues suite au chiffrage résultant de la verbalisation pour travail dissimulé. Conseils : En cas de refus d’attestation de vigilance, il est vivement recommandé de demander au préalable à l’URSSAF le motif de ce refus. Il est en effet rarement donné d’emblée. Si l’URSSAF ne défère pas à cette demande de motivation ou s’il s’avère que le refus est motivé par des cotisations impayées discutées devant un tribunal judiciaire, il est possible de contester la décision de l’URSSAF en formulant un recours écrit qui peut être envoyé par lettre recommandé avec accusé de réception et/ou via l’espace en ligne de l’URSSAF. Enfin si l’URSSAF persiste à refuser de délivrer l’attestation, le recours peut être porté devant le tribunal judiciaire en ajoutant éventuellement une demande de dommages et intérêts pour le préjudice subi du fait du refus illégal. Attention, avant de saisir le Tribunal, il peut être utile de prendre conseil auprès d’un avocat pour vérifier les chances de succès de l’action et les modalités du montage du dossier. Droit applicable : Articles L243-15 du code de la sécurité sociale
par Perrine Athon-Perez 28 février 2024
Si un huissier vous a signifié une contrainte délivrée par l’URSSAF ou par un organisme social, vous devez réagir très vite. En effet, en cas de contestation de la somme réclamée dans la contrainte, vous disposez d’un délai de 15 jours pour faire le nécessaire. Dans ce délai, vous devrez : - Vérifier si la somme réclamée est fondée et suffisamment expliquée par la caisse. - Vérifier si, préalablement à la contrainte, l’URSSAF ou l’organisme de sécurité sociale vous a adressé une mise en demeure. - Vérifier si les cotisations réclamées ne sont pas prescrites. Si, vous décelez une ou plusieurs anomalies (d’après la liste énumérée ci-avant), vous avez tout intérêt à former une opposition à la contrainte. Cette démarche consiste à saisir le pôle social du tribunal judiciaire dont vous dépendez (en principe il est indiqué sur le courrier que l’huissier vous a remis) d’un acte de contestation de la contrainte. Une fois saisi, le recouvrement de la dette est suspendu jusqu’au jugement que rendra le tribunal judiciaire. Attention : l’opposition à contrainte doit être motivée sinon elle est irrecevable. Également, il faut bien penser à joindre une copie de l’acte remis par l’huissier. Conseils : o Il est vivement recommandé de former opposition à contrainte via une lettre recommandée avec accusé réception et d’en conserver une copie. Si l’huissier venait à poursuivre l’opération de recouvrement (via une saisie sur vos comptes par exemple), il vous faudra prouver que vous avez saisi le tribunal pour suspendre ses actions. o Une procédure devant le pôle social du tribunal judiciaire peut durer plusieurs mois voire plusieurs années. Dans certains cas, il peut être utile de tenter de régulariser la situation avec l’URSSAF en parallèle de la procédure d’opposition à contrainte afin de faire avancer la situation plus rapidement. o Une contrainte délivrée par l’URSSAF s’inscrit souvent dans une situation de conflit plus large avec l’organisme. Les délais de prescription en matière de recouvrement de cotisations sociales sont facilement prorogeables et des sommes, mêmes très anciennes, peuvent peut-être encore vous être réclamées. Afin d’éviter d’aggraver la situation, par les majorations de retard notamment, il est vraiment préférable d’opter pour une stratégie d’assainissement en procédant à un examen global de celle-ci. Plus vous repoussez les échéances, moins vous avez de chances, à terme, d’obtenir des remises de pénalités ou des délais de paiement si nécessaire. Droit applicable : Articles L244-9 et suivants du code de la sécurité sociale Articles R133-3 et suivants du code de la sécurité sociale Cour de cassation, chambre civile 1, 28 septembre 2016, N° de pourvoi: 14-29776
Entrepreneur face à l'administration
par Perrine Athon-Perez 28 février 2024
Mettez un terme à vos difficultés avec les organismes sociaux (URSSAF, CARMF, MSA, CIPAV…)
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
par Cabinet ATHON-PEREZ 2 février 2021
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
par Cabinet ATHON-PEREZ 15 janvier 2021
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
par Cabinet ATHON-PEREZ 31 décembre 2020
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
Droit des fonctionnaires
par Cabinet ATHON-PEREZ 15 décembre 2020
La jurisprudence et l'actualité du droit pour les fonctionnaires.
Plus d'articles...